Priére d'inserer

Priére d'inserer

Jacques Derrida

Glas


D'abord: deux colonnes. Tronquées, par le haut et par le bas, taillées aussi dans leur flanc: incises, tatouages, incrustations. Une première lecture peut faire comme si deux textes dressés, l'un contre l'autre ou l'un sans l'autre, entre eux ni communicaient pas. Et d'une certaine façon délibérée, cela reste vrai, quant au prétexte, à l'objet, à la langue, au style, au rhythme, à la loi. Une dialectique d'un côté, une galactique de l'autre, hétérogènes et cependant indiscernables dans leurs effets, parfois jusqu'à l'hallucination. Entre les deux, le battant d'un autre texte, on dirait d'une autre "logique": aux surnoms d'obsequence, de penêtre, de stricture, de serrure, d'anthérection, de mors, etc.
   Pour qui tient à la signature, au corpus et au propre, déclarons que, mettant en jeu, en pièces plutôt, mon nom, mon corps et mon seing, j'élabore d'un même coup, en toutes lettres, ceux du dénommé Hegel dans une colonne, ceux du dénommé Genet dans l'autre. On verra pourquoi, chance et nécessité, ces deux-là. La chosedonc, s'élève, se détaille, et détache selon deux tours, et l'accélération incessante d'un tour-à-tour. Dans leur double solitude, les colosses échangent une infinité de clins, par exemple d'oeuil, se doublent à l'envi, se pénètrent, collent et décollent, passant l'un dans l'autre, entre l'un et dans l'autre. Chaque colonne figure ici un colosse (colossos) , nom donné au double du mort, au subsitut de son érection. Plus qu'un, avant tout.
   L'ecriture colossale déjoue tout autrement les calculs du deuil. Elle surprend et dérésonne léconomie de la mort dans tous ses retentissements. Glas en décomposition, (son ou sa) double bande, bande contre bande, c'est d'abord l'analyse du mot glas dans les virtualités retorses et retranchées de son "sens" (portées, volées de toutes les cloches, la sépulture, la pompe funèbre, le legs, le testament, le contrat, la signature, le nom propre, le prénom, le surnom, la classification et la lutte des classes, le travail du deuil les rapports de production, le fétichisme, le travestissement, la toilette du mort, l'incorporation, l'introjection du cadavre, l'idéalisation, la sublimation, la relève, le rejet, le reste, etc.) et de son "signifiant" (vol et déportation de toutes les formes sonores et graphiques, musicales et rhythmiques, choréographie de Glas dans ses lettres et fécondations polyglottiques. Mais cette opposition (Sé/Sa) , comme toutes les oppositions du reste, la sexuelle en particulier, par chance régulière se compromet, chaque terme en deux divisé s'agglutinant à l'autre. Un effet de gl (colle, glu, crachat, sperme, chrême, onguent, etc.) forme le conglomerat sans identité de ce cérémonial. Il rejoue la mimesis et l'arbitraire de la signature dans un accouplement déchaîné (toc/seing/lait), ivre comme un sonneur à sa corde pendu.
   Que reste-t-il du savoir absolu? de l'histoire, de la philosophie, de l'économie politique, de la psychanalyse, de la sémiotique, de la linguistique, de la poétique? du travail, de la langue, de la sexualité, de la famille, de la religion, de l'Etat, etc.? Que reste-t-il, à détailler, du reste? Pourquoi ces questions en forme de colosses et de fleurs phalliques? Pourquoi exulter dans la thanatopraxie? De quoi jouir à célébrer, moi, ici, maintenant, à telle heure, le baptême ou la circoncision, le mariage ou la mort, du père et de la mère, celui de Hegel, celle de Genet? Reste à savoir - ce qu'on n'a pu penser: le détaillé d'un coup.

J.D.



Collection "Digraphe", dirigée par Jean Ristat
1 vol. 25 x 25, 296 pages, 62 F.
Èditions Galilée
9, rue Linné, 75005 Paris



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